samedi 2 août 2014

Je revenais de guerre - roman - XXIII

Rendre l'arme, avant qu'il ne soit trop tard. Restituer l'arbalète, d'accord, mais comment ? J'avais ma dignité !... Notre voiture roulait vers Galvier. Mon père chantait la Tactique du gendarme. Replié sur moi-même, je feignais de dormir.
Un rapide dîner à la cuisine : nouilles au jambon, camembert et compote. On sonnait à la porte ; l'heure était venue. Je suis sorti, ma besace en bandoulière. Billy m'attendait sur le perron, l'air renfrogné. Il a sitôt désigné mon sac : “T'as quoi là dedans ?” “Des bricoles”, ai-je répondu d'un ton détaché. Quelques minutes de gagnées, avant l'aveu.


Ce petit tour, aux portes du village... Nous marchions en silence, dans la tiédeur du soir. Des martinets dansaient entre ciel et terre ; un chat suivait des yeux leur manège. Comment rendre l'arbalète ? Je cherchais en vain une issue honorable. Qui sait si mon ami n'en faisait pas de même !...
J'avais au moins trois options : l'humilité, l'esbroufe ou l'attente. Trois options plus mauvaises les unes que les autres !... Laissant ainsi s'écouler les minutes, j'optais de fait pour la troisième. Au risque d'une fuite en avant.
C’était au crépuscule. J'ai soudain tiré le paquet de ma besace, fanfaronnant : “Prenez place, Mesdames et Messieurs : le spectacle commence !” Une pièce de toile enveloppait l'objet ; hop hop ! je l'ai défaite avec des manières d'illusionniste. Puis, d'un geste vif, j'ai pointé l'arbalète sur mon ami, m'écriant : “Billy-la-grenouille ! On fait toujours le fier ? ”


Le soleil perçait les nuages. Chaque flaque d'eau semblait braquer sur moi son faisceau d'argent. J'ai fermé les yeux, ébloui. C'est alors que j'ai perçu la vibration, d'abord légère, puis de plus en plus forte... Mes doigts se sont crispées sur les planches. Mon coeur battait sourdement. Non ! Non ! Pitié !...
J'ai lancé un cri de rage et de désespoir. Un cri qui s'entendrait de loin. La réalité était là, au contact de mes mains. Evidente, implacable ! Une large passerelle avait remplacé les traverses d'autrefois ! Solides, moins espacées, les nouvelles planches supporteraient le poids de mon ennemi.
Plus vite ! Plus vite ! Je rampais à nouveau, forçant le rythme - et la colère me tirait des larmes. Plus vite, Philippe ! Je le savais : d'ici peu, la colère céderait place à une peur panique. Car tandis que je m'écorchais ventre et coudes, la bête s'approchait en silence.


[A suivre]

2 commentaires:

Danièle Duteil a dit…

Sauve qui peut ! Quelle imagination réjouissante, Paul ! Tu as trouvé un éditeur ? Bises de Bretagne où le soleil brille.

Paul de Maricourt a dit…

Oh, je ne sais pas si ça vaut d' être édité !... Bises de Fontenay, où je travaille d'arracher pieds pour rendre mon nouvel appartement présentable... Tu viendras me rendre visite !