samedi 26 juillet 2014

Je revenais de guerre - roman - XXII

Alors, on fait toujours le fier ? L'expression m'est venue à l'esprit, tandis que j'agrippais les premières planches. Elles étaient sèches, rugueuses au contact de ma paume. Découpées à angles vifs, elles sentaient encore la résine... Pourquoi ?
Impossible de me concentrer. Je progressais dans une pénombre intérieure, sans rien voir de ces flaques ou se reflètent les nuages... Rien de cette savane d'herbes fauves, coiffant les tourbes... Et pourtant ! Tout cela restait ancré dans ma mémoire.
Le fier ? Allons donc ! Je rampais, sans plus me soucier de ma dignité. Les planches me râpaient le nombril ; je luttais pour gagner l'autre bord. Tous les cinq mètres, dix mètres, mes forces me lâchaient.


Etais-je seulement à mi-parcours ? De temps en temps me parvenait un gargouillis ; je surplombais quelque ruisseau, creusant son lit dans les tourbes. Le vent soulevait mes cheveux, tout comme il couche les herbes hautes.
Ce caillebotis, quand l'avais-je emprunté pour la dernière fois ? La veille du drame, oui... Billy courrait sur les planches vermoulues, s'écriant : Banzaï ! Tacatacatac ! Puis ce fut la sablière. Les coups échangés. Le retour à Galvier. La maison de Gustave et l'arbalète, accrochée au mur.
J’ai tout juste prêté attention à un grondement familier. Quelque-chose trépignait sur la rive...


L’arbalète. Je l’avais dérobée la veille du drame, soufflé par ma propre audace. Elle était mienne, à présent ! Qui la chercherait là, sous mon lit ? Gustave soupçonnerait tel ou tel voyou, pas le fils du maire ! Et si Billy se doutait de quelque chose, il tiendrait sa langue.
Pourtant, dès le lendemain matin, j'ai senti que l'aventure tournerait mal. J'imaginais Gustave effondré. Les gendarmes menant leur enquête au village, mon copain sèchement interrogé : Montre un peu ta bosse au front ! C'est quoi ce bleu, ces griffures ? On s'est battu, jeune homme ? Avec qui ?...
Toute une journée la boule au ventre. Dieu merci, j'étais en ville, loin de Galvier. Sauvé par une sortie prévue de longue date : la biennale de musique ! Maman ne ratait jamais cet événement...
Mes parents enchaînaient les concerts, courant d'un kiosque à l'autre. Debout face à un quartet, plus affectueux que de coutume, je me serrais entre frère et soeur. Encore quelques heures de répit. Je n'aurais pas à affronter le regard de Billy avant la fin du jour...

Pour le reste, ma décision était prise.


[A suivre]

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