Alors,
on fait toujours le fier ?
L'expression m'est venue à l'esprit, tandis que j'agrippais les
premières planches. Elles étaient sèches, rugueuses au contact de
ma paume. Découpées à angles vifs, elles sentaient encore la
résine... Pourquoi ?
Impossible de me concentrer. Je
progressais dans une pénombre intérieure, sans rien voir de ces
flaques ou se reflètent les nuages... Rien de cette savane d'herbes
fauves, coiffant les tourbes... Et pourtant ! Tout cela restait
ancré dans ma mémoire.
Le
fier ? Allons donc !
Je rampais, sans plus me soucier de ma dignité. Les planches me
râpaient le nombril ; je luttais pour gagner l'autre bord. Tous les
cinq mètres, dix mètres, mes forces me lâchaient.
Etais-je seulement à mi-parcours
? De temps en temps me parvenait un gargouillis ; je surplombais
quelque ruisseau, creusant son lit dans les tourbes. Le vent
soulevait mes cheveux, tout comme il couche les herbes hautes.
Ce
caillebotis, quand l'avais-je emprunté pour la dernière fois ? La
veille du drame, oui... Billy courrait sur les planches vermoulues,
s'écriant : Banzaï !
Tacatacatac ! Puis ce
fut la sablière. Les coups échangés. Le retour à Galvier. La
maison de Gustave et l'arbalète, accrochée au mur.
J’ai tout juste prêté
attention à un grondement familier. Quelque-chose trépignait sur la
rive...
L’arbalète. Je l’avais
dérobée la veille du drame, soufflé par ma propre audace. Elle
était mienne, à présent ! Qui la chercherait là, sous mon lit ?
Gustave soupçonnerait tel ou tel voyou, pas le fils du maire ! Et si
Billy se doutait de quelque chose, il tiendrait sa langue.
Pourtant,
dès le lendemain matin, j'ai senti que l'aventure tournerait mal.
J'imaginais Gustave effondré. Les gendarmes menant leur enquête au
village, mon copain sèchement interrogé : Montre
un peu ta bosse au front ! C'est quoi ce bleu, ces griffures ? On
s'est battu, jeune homme ? Avec qui
?...
Toute une journée la boule au
ventre. Dieu merci, j'étais en ville, loin de Galvier. Sauvé par
une sortie prévue de longue date : la biennale de musique ! Maman ne
ratait jamais cet événement...
Mes parents enchaînaient les
concerts, courant d'un kiosque à l'autre. Debout face à un quartet,
plus affectueux que de coutume, je me serrais entre frère et soeur.
Encore quelques heures de répit. Je n'aurais pas à affronter le
regard de Billy avant la fin du jour...
Pour le reste, ma décision était
prise.
[A suivre]
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