samedi 19 juillet 2014

Je revenais de guerre - roman - XXI

- Souviens-toi, Billy : le Pays des Tourbes, tu le traversais les yeux bandés ! A chacune de nos virées ! Tu t'avançais à l'aveuglette, sur les planches vermoulues... Un faux pas et c'était l'enlisement !
J'ai marqué un silence. Le chemin de planches ne quittait plus mon esprit. J'imaginais Billy se débattant dans la tourbe. Je me voyais lui tendre un bras secourable ; accroche toi, copain !... Aurais-je la force de l'arracher à la succion des boues ?
Bientôt, l'image s'est estompée. Déjà lui succédait une autre vision : ce n'était plus Billy, soufflant à ras des eaux noires ! C'était la bête.


Le caillebotis de planches existait-il encore ? Il y aurait là une carte à jouer... Peut-être l'unique occasion de vaincre mon ennemi ! Mais Billy ? Devrait-il tomber, lui aussi ? Devrais-je sacrifier mon ami d'enfance ?
Guillaume Falcata. J'entendais sa calme respiration. Quelques centimètres nous séparaient... Je pouvais le saisir à la gorge, l'étrangler ! Qu'adviendrait-il, ensuite ?... Ma main s'est crispée sur le col de sa chemise. D'un geste brusque, je l'ai tiré à moi - pour mieux le repousser :
- J'étais jaloux, Billy ! Jaloux de ta ville, de ton papy ! De tes mystères, de ton courage... Je n'aurai jamais ton courage. C'est toi le plus fort ! Lance-la, ta bête, qu'on en finisse ! Maintenant !


Depuis combien de temps rêvais-je ainsi, étendu à terre ? Pour la toute dernière fois, j'avais repris ma course. Vagabond fouetté par les ajoncs ! A bout de souffle, arrachant mes lambeaux de chemise ! Une ultime échappée vers l'ouest, avant la chute.
A présent, mon bras traînait dans quelque flaque, entre sphaignes et lys d'eau. Je percevais cette verte fraîcheur, qui vous saisit devant l'étal du fleuriste. J'étais couché au bord de la grande tourbière. Que je bascule et on me retrouverait dans deux mille ans, momifié par la boue.
Un bref grognement de temps à autre... Mon ennemi patientait.


Enfin ! Il était là, semblable à mes souvenirs, le Pays des Tourbes. Impossible de distinguer l'horizon. Je devinais juste quelques troncs nus, émergeant ça et là des mares. Et toujours, serpentant entre l'eau noire et les foins fauves, un chemin de planches.
Le caillebotis de mes douze ans ! Mon tout dernier refuge... La bête ne s’y aventurerait pas ; elle reculerait d’instinct... Et quand bien même elle s’y risquerait, les planches mortes craqueraient sous sa masse.



C'est rampant que je me suis engagé.  


[A suivre]

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