samedi 12 juillet 2014

Je revenais de guerre - roman - XX

 Mes pas m’avaient lancé en avant. Je courais sur le chemin creux, dans l'ombre des talus arborés. Un cri continu s'échappait de mes poumons. Au premier croisement, j'ai pris un sentier vers l'Ouest. Giflé par les branches basses, je courais sans espoir.
Elle semblait prendre son temps, cette chose qui jamais ne me perdait de vue. Et moi qui frôlais l'asphyxie !... J’allais tomber dans une fondrière. J'ai dû m'adosser à un arbre et fermer les yeux, vidé de toute énergie. J'étais à sa merci.


- “Gamin, gamin, passé le portail, passé le chemin, sur ton vélo rouge à slalomer pour rien, sur ton vélo rouge, gamin, gamin, passé le portail, joli drelin, oh passé le portail, joli drelin... Làlà, làlà, làlàlàlàlà...”
Longue plage d'aveuglement. Je sentais contre mon dos le tronc lisse et froid d'un aulne. La pluie n'avait pas duré ; simple ondée. Billy chantonnait quelque chose d'étrange. Un air semblable à tous les airs. Une ritournelle que je croyais connaître, mais ne pouvais situer.
- “Joli drelin, joli drelin...”


Billy fredonnait toujours. Sa mélodie s'éloignait, se rapprochait de moi, comme une mouche insistante. Je me suis entendu le questionner, d'un filet de voix :
- Où est ta bête, Billy ?
- Làlà, làlà, làlàlàlàlà...
- Que veux-tu de moi ? Que me veux-tu ?
- Làlàlà...
- Quand tu chantes, tu ne bégaies pas.
- Le Pays...
- Tu sens cette odeur ? Est-ce que les tourbes ont brûlé ?... Quand la tourbe est sèche, elle peut brûler des mois... Un incendie secret.
Billy se taisait. Rien ne me parvenait plus, sinon le craquement léger des feuilles et des brindilles. J'ai soudain senti un souffle à mon oreille :
- Le Pays... des Tourbes.


- Le Pays des Tourbes ! Mais oui, Billy ! C'est ainsi que nous avions baptisé la grande tourbière : « Pays des Tourbes »... Ca pourrait être le titre d'un roman, non ? Stevenson, Conan Doyle ?... Et le caillebotis, tu t'en souviens ?
- Dangereux...
- Une digue étroite et longue, au ras de l'eau... Elle traversait la grande tourbière de part en part. Tu t'en souviens, Billy ? Fameux piège ! Ton grand-père a failli y passer, lui qui y accrochait des lignes à anguilles... Un jour, une planche a cédé sous son poids. Il a fallu le tracter, pour l'arracher aux tourbes. Le tracter, une courroie sous les épaules... Tu t'en souviens ?
- Les petites fleurs...
- Et toi, Billy, comment le traversais-tu, ce caillebotis ?
- Petites fleurs... toutes blanches.
Je me suis tu. Billy me tendait un bouquet de fleurs minuscules. Pourquoi me semblaient-elles si menaçantes, ces ombellifères de tous les chemins ? Billy les a approché de mon visage, progressivement, tandis qu'en moi montait l'angoisse... Très progressivement... Jusqu'à ce que l'odeur me parvienne :

Carotte sauvage.


[A suivre]

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