Placé, après l'accident
de 1971. Dans, un établissement spécialisé,
comme on dit, avec une douteuse pudeur. Et moi qui ne pouvais
l'oublier, mon ami de toujours ! Moi, je n'avais pas même demandé
de ses nouvelles. Ça faisait trop mal, trop honte ! Autour de moi,
chacun se taisait, chacun s'efforçait de tourner la page.
Bien sûr, j'imaginais Billy ailleurs. Chez sa mère sans doute, ou
en pension. Peut-être marchait-il avec une canne ? D'accord, on ne
se verrait plus ! Mais quelque part Billy grandissait... Qui m'aurait
prévenu ? Tout de même, Gustave, je le croisais bien de temps à
autre... Sans jamais soutenir son regard.
Gustave, sa barbe comme une brosse métallique, ses
gestes précis, sa patience à toute épreuve... A l'époque, Gustave
restaurait des motos d'avant guerre. Une 350 Mestre & Blatgé
faisait sa fierté, même s'il feignait de s'en plaindre : C'est
sûr qu'elle ne manque pas de couple ! Elle monte à cent, mais elle
part n'importe où dès que la route est dégradée.
Les passionnés traversaient le pays, pour se procurer
chez Falcata – Antiquités et Cycles de
Collection la pièce introuvable. Quant à
Billy, ancienne ou pas, il salivait devant chaque moto.
Gustave aimait la boxe. Il pouvait démonter un carburateur pièce
après pièce, sans rien perdre d'un match à la radio. Ce vendredi 3
septembre 1971, la rencontre n'était pourtant pas retransmise... Le
match avait pour ring un wagonnet. Deux enfants s'y mesuraient,
dangereusement juchés sur un tas de sable.
Ma paillette dans l'oeil, la gifle d'Ousmane, les cajoleries de
Maman... Tout aurait dû s'arrêter là ! C'était compter sans mes
remords. Peu avant le dîner, j'ai traversé le village pour me
rendre chez Gustave. Je voulais faire la paix, rien de plus ! Saluer
mon copain, lui demander pardon et m'en retourner.
C'était la veille du drame.
J'ai sonné ; personne n'a répondu. On entendait
pourtant de la musique... La porte n'était pas fermée à clef. Je
suis entré timidement. Billy ?
Je me suis avancé sur le sol pavé de tomettes. Billy,
c'est Philippe ! La lumière du soir
traversait la salle à manger. Une panière attendait, posée sur la
table. Tout me semblait propre et modeste.
Où donc se tenaient Billy et son grand père ? Au potager, sûrement.
Où dans l'appentis, derrière la maison... La radio diffusait un
opéra, mais je devinais aussi, provenant du dehors, le bruit d'une
meuleuse. Du feu, de la mécanique ! Billy ne s'en lassait jamais...
J'allais les rejoindre, quand un objet a attiré mon
regard. L'arbalète pour enfant !
Ses gravures, ses marqueteries de violon... Elle était accrochée au
mur, juste au dessus du canapé.
A portée de main, la trop belle arbalète...
[A suivre]
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