samedi 14 juin 2014

Je revenais de guerre - roman - XVI

Mon coeur battait la chamade. J'ai glissé l'objet intime dans la poche de mon pantalon. Juste le temps de rassembler mes esprits... Il y a trois ans, après notre nuit de noces, qu'était-il advenu de la jarretière d'Isabelle ? Car c'était bien la sienne ! Comment avais-je pu ainsi me laisser enfumer ?
Non, Billy n'était plus un enfant ! En dépit des apparences, nous avions le même âge... Etait-il entré par effraction dans ma vie amoureuse ?... Je contenais ma colère. Protéger Isabelle, c'était là ma seule mission ! Eloigner le danger d'Isabelle, par tout moyen.
- Où as-tu trouvé cette jarretière, Billy ?
- Ah oui ! Le mariage de Philippe, d'Isabelle. Avec un cheval, dehors... Mais j'ai j'ai j'ai... pas invité, alors... Je me suis sauvé... Caché ! Caché. Avec un cheval, dehors... Toute la nuit, dansé, oui...
Je ne sais pourquoi, j'ai hoqueté de rire. Un rire incontrôlé, résonnant dans le corridor, décuplant la douleur à mon front. J'ai porté la main sur cette boursouflure de chair, enserrant le métal. Il me fallait trouver appui contre le mur, reprendre mon souffle... Billy semblait attendre, immobile.
Tu nous as vus partir à cheval, Isabelle et moi ?
- Non... Je j'ai suivi vous... Après la nuit du du du... la nuit du cheval. La jarretière, la jarretière... dans le sable.
- Tu nous a vus allongés dans le sable ?
Billy a inspiré bruyamment. Du verre craquait encore sous ses pieds. À nouveau, j'ai tenté de deviner ses intentions... Inutile ! Je ne pouvais rien décrypter dans ces yeux écarquillés.
Et Isabelle ? Tu as revu Isabelle, depuis ?
- ...
Billy ! As-tu revu Isabelle ? Parle !
Je n'ai pas attendu sa réponse. En moi montait une colère irrépressible J'ai fais deux pas en avant, les poings serrés. Volte-face ! Lâchant un cri de frayeur, Billy est reparti en courant dans le couloir.


Billy s'était réfugié dans une cellule ; quelques enjambées me suffirent à la rejoindre. Posté dans l'encoignure d'une porte, je cherchais vainement des yeux mon ami d'enfance. Il était là, pourtant, retenant sa respiration... J'ai parlé dans le vague, mais d'une voix assurée :
- Dis-moi tout, Billy : as-tu revu Isabelle, depuis le mariage ?
Du fond de la pénombre, une voix m'est parvenue, toute tremblante :
- Dans la rue. Elle... elle a sourit. Très gentille, Isabelle ! Mais après... elle est partie.
Isabelle, au sourire bienveillant... Tandis que je visualisais la rencontre, un autre sourire m'est revenu à l'esprit : celui de Maman. Billy avait toujours suscité sa tendresse... Enfant, j'en éprouvais des bouffées de jalousie.
J'ai conclu, avec une certaine fermeté :
- Tu ne devras plus approcher ma femme, Billy. Plus jamais. C'est bien clair ?


Ma colère retombait. Où donc se cachait-il, le camarade au corps brisé ? Quelque part, dans ce cube de pénombre... Ici vivait un moine, autrefois. Ici peut-être vivait et souffrait Gabriel, son propre père. Qu'était-il advenu de lui, après le voyage en train ? Est-ce que Blandine l'avait éconduit ? Avait-il de lui-même rebroussé chemin, retrouvé sa cellule monastique ?
Billy a percé le silence :
- Avant... Avant, on était amis... Pas revu Philippe, après !... Après l'accident...
- C'est vrai, Billy. Je t'ai perdu, ce jour là... Et pourtant, crois-moi, jamais je ne t'ai oublié.
- Non, pas revu Philippe ! Je j'ai pas revenu à Galvier, après... Maman voulait plus. Mais pas très loin, non non, pas si loin !... Une heure de train, même pas. Parce-que... Parce-que après... Maman, elle pleurait tout le temps. Tout le temps, oui ! Alors, mon Papy il m'a ... Papy il m'a... il m'a...
Billy buttait sur un mot, de ceux qui font vraiment mal :
- Papy, il m’a placé !

[A suivre]

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