samedi 28 juin 2014

Je revenais de guerre - roman - XVIII

 Un peu de lumière passait entre les volets disjoints. Trop peu pour éclairer la cellule. Soudain, Billy s'est avancé. A contre jour, sa silhouette se dessinait avec une netteté singulière. Décidément conforme à mes souvenirs, sauf en un point : la tête. N'avait-elle pas grossi ?
J’ai bredouillé :
- Bil... Quel âge as-tu ?
- Douze ans.
Douze ans ! D'instinct, j'ai reculé. Douze ans, quand j'en ai plus de trente ! Qu'avais-je là, devant moi ? Quel monstre, quelle aberration vivante ? Je ne sais ce qu'exprimait mon visage, mais de nouveau, Billy a pris peur. Bondissant hors de la cellule, il a couru vers la porte au miroir.
- Tu n'as pas douze ans, Billy !
La porte lui résistait, fermée ou grippée. Billy s'acharnait à l'ouvrir. Je marchais posément vers lui, répétant :
- C'est faux, Billy, tu n'as pas douze ans !
Soudain, la porte a lâché. Billy s'est élancé dans un colimaçon, jusqu'au dernier étage. Je l'ai suivi sans réfléchir, reprenant mon souffle toutes les trois marches.


Au grenier, encombré de chaises en tas, le jour passait par une rangée d'œils-de-bœuf. Il y avait là une autre source de lumière : douze chandelles, disposées en cercle. Les plus hautes atteignaient-elles un mètre ? Depuis des heures, sans doute, leurs flammes tremblotaient à l'unisson.
M'avançant dans le clair-obscur, j'ai découvert des photos, punaisées aux chandelles. Images découpées à la va vite, dans quelque magazine... Elles vibraient sous un méchant courant d'air, peu à peu recouvertes par la cire. Pouvait-il s'agir de motos ? De femmes nues ?...


Des pas m'ont fait sursauter ; Billy sortait d'un renfoncement. Billy s'approchait, ombre mouvante... Il marchait à ma rencontre, comme une bête apeurée. S'immobilisant face au cercle, il a désigné une à une les photos :
- Là... là c'est Bereta, Loubet... et Carnus, voilà... Bosquier, aussi ! Regarde...
Ma gorge se serrait. C'est à des vieux numéros de France Football que Billy avait arraché ces photos... J'étais dans un sanctuaire. Un mausolée dédié à nos 12 ans, à l'éternel été 71... Les larmes ont brouillé mon œil valide. Billy égrenait les derniers noms :
- Il en manque ? Ah oui ! Il manque... Camerini, voilà. Première sélection... contre la Hongrie. Match nul... Un but de Revelli, 64ème minute... Revelli, voilà.
Billy a terminé sur un soupir :
- Et... et Georges Boulogne, l'entraîneur.
J'ai pointé une couverture, qui traînait à terre.
- C'est ici que tu as dormi ?
- Oui... Deux nuits.


Nous restions en silence. Traversant le toit crevé, une goutte de pluie est tombée sur mon nez. La soif se rappelait à moi ; comment boire ?... Soudain, comme je levais les yeux au plafond, Billy s'est écrié, un tremblement dans la voix :

- C'est là ! Regarde ! Là... la grande poutre... Il s'est pendu, le moine ! Pendu à la grande poutre, le moine du petit cahier !... Gabriel ! Mon papa.


[A suivre]

Aucun commentaire: