Une jarretière, dans mon poing serré. Le contact soyeux du tissus.
Quelque-chose montait en moi, comme une douce tristesse. Je laissais
venir, sans plus chercher à comprendre.
Billy avait le regard d'une bête craintive. J'ai attendu le temps
nécessaire, pour qu'enfin sa voix me parvienne. Voix pâteuse,
ensommeillée, voix d’un petit homme en devenir :
- Il... Il était une fois... Gabriel.
Je suis resté immobile. Billy bégayait ; je ne perdrais rien de son
récit, de ces mots qui me serraient la gorge :
Il était une fois deux jeunes âmes, deux jeunes corps, derrière un
noir rideau de pluie... Gabriel et Blandine n'avaient rien vu venir ;
le désir leur fit perdre la tête. Puis l'averse passa. On les
suprit enlacés... Blandine s'en retourna chez son père, Gabriel
demeura à l'abbaye, accablé de remords.
Trois mois durant, la distance le tenailla. Trois mois sans le goût,
sans l'odeur, sans la voix de Blandine ! Sans rien savoir de son
présent, ni de ses sentiments... Prier n'apportait plus la moindre
paix. Vivre devenait une torture ! Alors, advint ce qui devait
advenir.
Un matin, comme Gabriel se confessait, l'Abbé s'emporta : “N'en
avons-nous parlé hier ? Et avant-hier ?... Nous ne choisissons rien,
Gabriel ; nous sommes choisis ! La vie t'a choisi, le reste n'est que
discernement... Pars ! Ne crains pas l'errance. Tu reviendras si Dieu
le veut.”
L'après-midi même, Gabriel prit la route de Galvier, pâle et
décharné. L'air vif lui redonnait des forces ; au fil du chemin,
ses pas se firent plus sûrs... Il entra dans le village tout à fait
résolu.
Gustave Falcata buvait le café au soleil, devant la porte de son
atelier. Saluant le vagabond, il lui fit signe de s’asseoir sur le
banc, à ses côtés : “Ne dis rien ! Je sais qui tu es. Une tasse
?...”
Gustave n'ajouta rien, avant que le jeune moine n’ait avalé son
café. Puis, le fixant au fond des yeux : “Tu te réveilles bien
tard, mon gars. Blandine vit maintenant à Paris, chez sa mère...”
On s'était réfugié dans l'atelier, ses odeurs d'huile et de
sciure... On tournait lentement les pages d'un album photo, arraché
à la poussière. Pour peu, on se serait laissé aller aux
confidences ! Mais l'heure tournait...
Tous deux partirent à moto, sur l’antique 350. Gabriel tremblait,
Gabriel priait, et le vent malmenait sa robe. Gustave fit halte
devant la gare. Accompagnant le jeune moine jusqu’au quai, il lui
remit une pochette en cuir - “Tout est dedans !” - et s'en
retourna.
- Dans la pochette de mon papy, il y avait les gros billets... les
gros billets de banque, comme... comme au Monopoly. Les gros
billets... pour acheter la robe blanche, voilà. Pour se marier. Tout
ça, tout ça c'est écrit... dans le petit cahier ! Dans le petit
cahier de mon papy, oui.
“Le petit cahier, le petit cahier de Papy...” Billy se répétait
et sa voix n’était plus qu’un murmure. Je n'osais lui en
demander plus. Je regardais mon poing enserrant la soie, la passion,
le souvenir de noces qui sans doute n'avaient jamais eu lieu.
- La jarretière...
Ces mots m'étaient venus naturellement aux lèvres.
La réponse de Billy m'a coupé le souffle :
- Ah oui ! La jarretière, voilà... La jarretière d'Isabelle.
[A suivre]
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