vendredi 23 mai 2014

Je revenais de guerre - roman - XIII

 - Un partout, Billy... On en reste là ?
Billy a appuyé entre les verres de ses lunettes, pour les plaquer sur ses yeux. Rien de plus.
- Tu veux ta revanche ? Mais si j'avais pu !... Si j'avais pu, j'aurais échangé ton histoire contre la mienne...
- ...
- L'armistice, Billy... Je veux rentrer chez moi...
L'enfant n’a pas répondu, mais il a reculé d’un bon mètre, d'un autre encore, jusqu'à s'extraire de mon champ de vue. Combien de temps s'est ainsi écoulé ? J'ai entendu un souffle rauque. Oh non, ma traque n'était pas finie ! La bête ! Je l'avais oubliée, elle grondait à nouveau.


Plein ouest, au pas de course ! Je me suis engouffré dans un chemin creux. Il n'y aurait pas d'armistice, pas de retour au foyer ! Ainsi courant, j'éloignais le danger d'Isabelle ; qu'espérer de plus ? La bête était à mes trousses. Je percevais son souffle régulier. Elle me rattraperait quand bon lui semblerait.
Peut-être ai-je couru une heure ? Les talus boisés m'enserraient, il me semblait traverser un tunnel. Je ne pouvais aller plus vite sans risquer de perdre l'équilibre. Enfin, le chemin a débouché sur une prairie. Au fond courait un mur imposant ; la clôture de l'abbaye, certainement... Quelques dernières foulées et j'étais face au portail.
La grille gisait à terre, je l'ai enjambée sans peine. Un éboulis, voilà tout ce qu'il restait de l'ancienne porterie ! L'abbatiale était toujours debout ; pour combien de temps ? Plus personne n'habitait ici ! Des bâtiments décrépis, abandonnés aux vents et à la pluie, rien de plus.


Petit garçon, j'accompagnais parfois mes parents à l'abbaye. Une bonne douzaine de moines y vivaient encore, malgré la crise des vocations. Nous leur achetions du miel, des bougies, du pain d'épices... Vers mes sept ans, après la mort de l'Abbé, les derniers occupants ont quitté les lieux.
Mon père s'est vainement fendu d'une lettre aux autorités religieuses. Bien sûr, l'abbaye est étoilée au Guide Vert ! Bien sûr, sa fermeture ne sera pas sans incidence pour la commune de Galvier... Mais à quoi bon protester ? Les moines avaient déjà rejoint leur maison de retraite ; flambant neuve, posée comme un parpaing géant dans les jardins d'un évêché.


Porte béante. Je suis entré dans le plus proche bâtiment. L’enfant pourrait m’y suivre, mais pas sa funeste monture... J'ai gravi un escalier de pierre, jusqu'au premier étage. Je me suis engouffré dans un corridor. A gauche les cellules monastiques, à droite les fenêtres, ou ce qu'il en restait. Je marchais sur du verre brisé, mes pas résonnaient de toute part.
Epuisé d'avoir tant couru, je basculais dans les rêves. Crac ! Le verre crissait sous mon talon. À quatre pattes, Isabelle cherchait sa lentille, peignant des doigts la moquette... Mama mia, quelles jolies fesses !


J’ai dû poser la main sur un tesson, au bord d’une fenêtre ; la douleur m’a ramené au présent. Je regardais le sang couler, sans réagir. Une mouche s'est posée sur la plaie. Mouche d'automne, toute à son affaire... comme un enfant tétant sa grenadine.
Un bruit de verre foulé, derrière moi : Billy approchait. J'ai marché lentement, laissant la mouche opérer. À gauche, sur le palier, les portes se succédaient : parfois sur pied, accrochées à un seul gond, ou à terre, rongées par l'humidité. Sur chaque cellule vide s'ouvrait le même trou rectangulaire.

Derrière mon dos, encore un bris de verre. La mouche s'est envolée.


[A suivre]

Aucun commentaire: