«Alors, Guillaume, ces mots invariables ?... Avant
avec un T final, s'il te plaît. Fais-moi une ligne d'avant, ça va
rentrer... Avant. Avant. Avant... Philippe,
voyons ! N'allume pas le poste, ton camarade n'a pas terminé !»
Voilà, c'était ainsi chaque jour d'été ou presque, entre nos dix
et douze ans. Billy me rejoignait à la maison, en début
d'après-midi. Maman alternait devoirs de vacances et leçon de
piano, après quoi nous étions libres.
Billy ! L'ami dont on ne se lasse jamais. Billy-la-grenouille, ainsi
l'appelaient les gamins du village. Il n'était pas très beau, mon
copain : cheveux filasses, de grands yeux pâles derrière d’épais
verres de myope, quelque chose d’effaré dans le regard...
A quand remontait notre amitié ? Nous étions déjà proches,
lorsque son grand-père a été hospitalisé, pour crise de
paludisme. Mes parents ont alors hébergé Billy. Une semaine durant,
nous avons partagé ma chambre, punaisant sur les poutres des posters
de motos.
Un soir, nous avons emprunté à mon père son livre d'art sur la
tauromachie. Allongés à plat ventre sur le tapis, nous tournions
une à une les pages, fascinés. Tous ces jeux d'ombre et de lumière,
la torsion des monstres noirs autour du matador... Le livre refermé,
Billy a décrété : “Maintenant, la vie, ça devra être comme une
corrida.”
D'emblée, sa taille m'a frappé. Près de vingt ans plus tard, la
même silhouette, la même coupe au bol, les mêmes lunettes rondes.
Billy n'avait donc pas grandi, depuis l'accident ?
J'ai bredouillé :
- Avant
est invariable, Billy...
Je parlais du coin de la bouche, mes mots en sortaient déformés.
M'avait-il seulement compris, l'ami perdu ? Il a tourné une paume
vide vers moi. Son autre main, posée contre sa cuisse, empoignait un
long objet.
- Billy, tu te souviens du locotracteur ? Tu sais ce qu’il est
devenu ?
Aucune réponse. Billy-la-grenouille se tenait raide. Son ombre se
confondait avec l'ombre des sapins. Avait-il peur, l'enfant
trentenaire ? Peur de moi, ou de la chose pendant à sa main ? Cette
main qui tremblait, comme autrefois, au tir à la carabine...
- La General,
Ousmane l’a rachetée pour un franc symbolique. Il avait vu
juste, le pauvre : Sables de Galvier a
déposé le bilan.
- ...
- Ousmane a pris sa retraite, à Vernes. Tout a changé, en vingt
ans. Tout... sauf toi ?
Billy ne bronchait toujours pas. J'ai ajouté, d’un ton qui se
voulait assuré, quand le timbre de ma voix me trahissait :
- Billy, je sais ce que tu tiens dans ta main ! C'est l'arme de ton
papy.
[A suivre]
2 commentaires:
Excellent, Paul ! J'ai hâte de connaître la suite.
On va continuer, alors 😃
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