samedi 10 mai 2014

Je revenais de guerre - roman - XI

«Alors, Guillaume, ces mots invariables ?... Avant avec un T final, s'il te plaît. Fais-moi une ligne d'avant, ça va rentrer... Avant. Avant. Avant... Philippe, voyons ! N'allume pas le poste, ton camarade n'a pas terminé !»
Voilà, c'était ainsi chaque jour d'été ou presque, entre nos dix et douze ans. Billy me rejoignait à la maison, en début d'après-midi. Maman alternait devoirs de vacances et leçon de piano, après quoi nous étions libres.


Billy ! L'ami dont on ne se lasse jamais. Billy-la-grenouille, ainsi l'appelaient les gamins du village. Il n'était pas très beau, mon copain : cheveux filasses, de grands yeux pâles derrière d’épais verres de myope, quelque chose d’effaré dans le regard...
A quand remontait notre amitié ? Nous étions déjà proches, lorsque son grand-père a été hospitalisé, pour crise de paludisme. Mes parents ont alors hébergé Billy. Une semaine durant, nous avons partagé ma chambre, punaisant sur les poutres des posters de motos.
Un soir, nous avons emprunté à mon père son livre d'art sur la tauromachie. Allongés à plat ventre sur le tapis, nous tournions une à une les pages, fascinés. Tous ces jeux d'ombre et de lumière, la torsion des monstres noirs autour du matador... Le livre refermé, Billy a décrété : “Maintenant, la vie, ça devra être comme une corrida.”


D'emblée, sa taille m'a frappé. Près de vingt ans plus tard, la même silhouette, la même coupe au bol, les mêmes lunettes rondes. Billy n'avait donc pas grandi, depuis l'accident ?
J'ai bredouillé :
- Avant est invariable, Billy...
Je parlais du coin de la bouche, mes mots en sortaient déformés. M'avait-il seulement compris, l'ami perdu ? Il a tourné une paume vide vers moi. Son autre main, posée contre sa cuisse, empoignait un long objet.
- Billy, tu te souviens du locotracteur ? Tu sais ce qu’il est devenu ?
Aucune réponse. Billy-la-grenouille se tenait raide. Son ombre se confondait avec l'ombre des sapins. Avait-il peur, l'enfant trentenaire ? Peur de moi, ou de la chose pendant à sa main ? Cette main qui tremblait, comme autrefois, au tir à la carabine...
- La General, Ousmane l’a rachetée pour un franc symbolique. Il avait vu juste, le pauvre : Sables de Galvier a déposé le bilan.
- ...
- Ousmane a pris sa retraite, à Vernes. Tout a changé, en vingt ans. Tout... sauf toi ?
Billy ne bronchait toujours pas. J'ai ajouté, d’un ton qui se voulait assuré, quand le timbre de ma voix me trahissait :

- Billy, je sais ce que tu tiens dans ta main ! C'est l'arme de ton papy.


[A suivre]

2 commentaires:

Danièle Duteil a dit…

Excellent, Paul ! J'ai hâte de connaître la suite.

Paul de Maricourt a dit…

On va continuer, alors 😃