samedi 5 avril 2014

Je revenais de guerre - roman - VI

 Des pas légers sur le chemin, s'approchant petit à petit... L'inconnu s'est arrêté à distance respectable. Avait-il peur de moi ? Ça, je ne devais pas être beau à voir ! Mais que risquait-il ?
Une voix m’est parvenue, pâteuse et chagrine :
- P-p-pas fait exprès ! C'est parti tout seul, là, là là...
Mon Dieu, ce timbre juvénile, si familier... Je restais figé. Les mots se perdaient en moi, vides de sens. Je retenais mon souffle, empoignant une sangle. Ma jument, ma chaude jument, pour l'heure mon seul point d'ancrage...
L'enfant a répété :
- Pas fait exprès ! Non, non...
Cet enfant, c'est donc lui qui avait tiré ? Que s'était-il passé, au juste ? Au fond, peu importait ! Dans l'immédiat, lui seul pourrait appeler des secours. Pourtant, je sentais mon ventre se serrer. Une pensée m'obnubilait, absurde en apparence : n'était-il que maladresse, ce coup de feu silencieux ? Ce coup tiré aux portes de ma maison...


J'étais presque aveugle, mais pas un bruit ne m'échappait. L'enfant a reculé, dans un craquettement de feuilles mortes. Reculé de cinq ou six pas, jusqu'à poser la main sur une sombre encolure. Celle d'un poney ?...
Je ne pouvais en distinguer clairement la forme, mais une masse noire, trapue, se tenait aux côtés de l'enfant. Et voilà que l'enfant enfourchait l'animal !... Ce coup de feu muet, simple accident ?
J'ai entendu souffler la bête ; un frisson m'a parcouru. Un tel grondement, rauque et profond, ne pouvait être le souffle d'un poney ! L'enfant montait une créature autrement redoutable ! Une créature sauvage. De celles qui ne lâchent jamais leur proie.


Enfant, je dévorais des récits de survie ; histoires d'explorateurs, de montagnards... Naufragé ou rescapé d'un crash aérien, quand il s'agit de sauver sa peau, on puise en soi une énergie de nulle part. On traverse les glaces, les déserts, que nul avant soi n'a osé affronter. Eh bien, mon tour était venu !
Je devais trouver l'étrier, trouver la force de me hisser. Je l'ai fait, en dépit de ma fièvre. Au premier essai, j'étais en selle, mû par la volonté, mais aussi par cette peur obscure, cette peur que rien ne raisonnerait. Oh oui, j'avais peur ! Pour moi, mais plus encore pour ma femme.


C'était l'heure de tous les renoncements. Je devais éloigner la menace de Galvier, rien d'autre n'importait ! Sans plus réfléchir, j'ai lancé Kalifa dans la nuit. Adieu, Isabelle...
Plein ouest, vers la sablière ! L'instinct seul me guidait : chevaucher les yeux clos, sans relâche... Le village et de ses lampadaires n'étaient plus qu'un souvenir, j'éperonnais ma monture, encore, encore, m’en remettant à elle.

Je filais au galop sur le plateau déserté, tandis qu'à mes trousses s'élançait la bête au souffle rauque.


[A suivre]

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