samedi 22 mars 2014

Je revenais de guerre - roman - IV

Tiens, me suis-je dit ! C'est déjà le crépuscule, il ferait presque froid. J’ai ajusté ma veste. Qui me verrait passer ? Un taureau meuglait dans le pré, au détour du chemin. J'ai senti monter en moi l’envie de crier : « Ole ! Ole ! »
En contrepoint, un souvenir m'est revenu à l'esprit. L’accident de Billy, n’était-ce pas là, juste dans ce champ ?... Allons, une profonde inspiration, et que le diable rentre dans sa boite ! Comme une image en chasse une autre, j'ai pensé à mon épouse. Isabelle, la cambrure de tes reins !...


Un rempart face aux états d'âme, les reins d'Isabelle ! Je l'ai su dès notre première rencontre. C'était il y a quatre ans. Lionel m'avait invité à déjeuner, dans la cabane en bord de Loire où il pêchait le week-end. Qu'ai-je d'abord vu de sa soeur, en franchissant le seuil ? Ce derrière somptueux, moulé dans un jean !...
À quatre pattes, Isabelle cherchait un objet perdu, peignant des doigts le tapis peau de chèvre. Lionel a grommelé : Très chic, la présentation... Isa s'est retournée. J’ai voulu faire un pas en avant, mais crac ! du verre a crissé sous mon pied. Oh, pardon ! ai-je bredouillé. Vous cherchiez quelque chose ? Et elle de soupirer : Oui, ma lentille.
Mama mia ! C'est ainsi que l'on tombe amoureux d'une myope...


Ah, les jours bénis ! Main dans la main, nos flâneries le long de la Loire... On s'enivrait de choses minuscules : d'un opéra crachotant à la radio, d'un café crème, derrière une vitre ruisselante... Isabelle lissait entre ses doigts ma vareuse d'élève-officier. Tout en elle attisait mon désir.
Lorsqu'Isa tombait en colère, je la fixais, jusqu'à ne plus connaître la couleur de ses yeux. Comme ce soir, au restaurant, où je dûs lui annoncer mon prochain départ pour l'Afrique. “À dix mille bornes ! En pleine guerre civile ! Et moi, dans l'histoire, je deviens quoi ?... Comment ça, tu veux vivre quelque chose de fort ? Parce que nous deux, c'est pas fort ?...”
Que lui répondre ? Je vivais depuis mon plus jeune âge dans l'attente de ce jour !... J'ai tourné dans ma main une salière en cristal. Déjà, ma belle ombrageuse ravalait ses larmes : “Ok, Philippe. Tu vas la faire, ta guerre. Mais d’abord tu m’épouses.”


Un mur ancien d'un côté, un bosquet d'arbustes de l'autre ; le chemin s'avançait vers le premier lampadaire. Galvier ! Enfin, dormir auprès de ma brune, après trois ans d'absence... Trois ans ! Les lettres s'espacent, l'odeur s'estompe. Reste une alliance à la main gauche... Isabelle, je la retrouverais ce soir même - ou je la perdrais.
À la nuit tombante, une troupe de martinets fauchait l'air. C'est drôle, on dirait qu'elles attendent mon retour pour partir en Afrique... J’ai tenté d'accompagner un oiseau du regard ; son vol affolé, ses cris stridents. Suivre cette lame noire, tranchant le sol et sitôt s'élevant, à une vitesse époustouflante...

Le vol, le cri des martinets jusqu'à l'étourdissement. A peine ai-je aperçu la villa blanche ! J'ai entendu un bruit sec, étouffé. Dès lors, tout à basculé. 

[A suivre]

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