samedi 15 mars 2014

Je revenais de guerre - roman - III

 Une-deux ! Je trottais en levant les fesses, sur un lacet de départementale. Ainsi, j'ai traversé Vernes, hameau perdu dans le colza et les cultures fourragères. Des roues de tracteur avaient marqué l'asphalte de leurs motifs boueux. Toujours trottant, j'ai longé une enceinte de propriété, des pâturages bosselés...
Il reviendra à Pâques, ou à la Trinité... C'est au 11 novembre que je rentrais, pour ma part, fredonnant la chanson de Marlbrough. Le 11 novembre, quel symbole ! Un soleil de fin de journée ravivait mes galons – deux par épaules, ce qu'il faut pour un digne retour. Auprès de ma brune.
Isabelle ! Ensemble, nous avions passé un premier Noël africain, à bonne distance du conflit. Nous nous étions retrouvés chaque fois que possible, au gré des permissions... Puis ces lettres, ces appels qui petit à petit s'espaçaient. Inévitable distance ! Il était temps de rentrer.
Isabelle me croyait loin, ce soir de novembre ; la surprise serait totale.


J'allais ainsi, à la dernière heure du jour, quand tout s'estompe. Bottes de cuir gras, boutons rutilants, képi de feutre. Comme apprêté pour la parade, j’espérais monter avec prestance. Personne n’était dehors pour me regarder passer. Hé ! N'est-ce pas là le vrai cavalier ? Sa dignité ne le quitte pas, même s'il est seul.
Plus jeune, c'est en jogger que je parcourais cette route chaque dimanche matin, forçant sur les mollets. Le château d'eau, la sablière, l'ancienne abbaye, la tourbière enfin, contournée par une large boucle. Vite ! Vite ! J'imaginais un invisible challenger, là, juste derrière moi...
Non, vraiment personne en vue. A droite, une crête de sapins, alignés comme des tuyaux d'orgues. Quelques kilomètres encore et aux abords du château d'eau, je quitterais la route pour le chemin communal. Galvier était là, tout près, en creux de vallon.


Deux coups de feu, à quelques secondes d'intervalle ; un invisible chasseur laissait filer sa proie. Mon regard traînait dans les champs : troupeaux alanguis, soleil flou à l'ouest du plateau… Un halo blanc s’échappait des naseaux de ma bête. Quelle délicieuse fraîcheur !
Je trottais sur le chemin de terre, aux portes de Galvier. Si près de ma maison d'enfance ! Plus près encore d'une villa blanche aux murs d'équerre... Une villa moderne où je n'avais encore jamais dormi, qui pourtant était mienne. Dans ce pays à vendre, ma femme avait éprouvé le besoin de bâtir !...

Chez moi, vraiment ? Il faudra s'y faire.

[A suivre]

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