samedi 8 mars 2014

Je revenais de guerre - roman - II

J’ai longtemps rêvé de guerre. Aujourd’hui encore me revient en mémoire la photo de Bon Papa : une veste de troupe à pattes de col rectangulaires, de longues moustaches, le liseré foncé du pantalon, les jambières en cuir, le calot penchant à droite et les gants blancs à l'aplomb... 14-18 ; voilà la guerre !
Suis-je né trop tard ? J’ai raté les guerres mondiales, l’Indochine et l’Algérie. Quand vint mon tour d'embrasser la carrière, quelle option me restait-il ? Un conflit post-colonial en Afrique ! De ceux qui ressurgissent tous les dix ans.
Ainsi, j'ai par défaut choisi l'opération Narval, mission d'interposition sous mandat de l'ONU... Inutile d'en dire plus.


Je revenais de guerre, un quelconque soir d'automne. Rentrer du front est intemporel et cela me convient. J'aime ce qui n'a pas d'âge, j'ai toujours en tête des chansons d’enfance, mironton mironton mirontaine.
L'avion, le train, le taxi enfin. J'avais enchaîné les moyens de transport jusqu'au centre équestre de Vernes, à quinze kilomètres de mon village d'enfance. Là, mon beau frère m'attendait, s'appliquant à démêler une crinière.
- Par ici, Philippe !
Ciel limpide, fraîcheur de novembre... Il y avait dans l'air comme des bulles de champagne. Je me suis avancé tout sourire, dans une confusion d'odeurs de cuir et de poussière. Lionel a posé son étrille, pour me donner l'accolade.
- Magnifique ! Tu rentres entier ? Personne ne t'a troué la peau ?
- R. A. S., comme on dit !
- Quel uniforme !... Tu tiens vraiment à débarquer chez toi à cheval ? C'est pas un peu du cinéma ?
- Non, Lionel. Ça ne l'était pas la nuit de mon mariage, ça ne l'est pas plus aujourd'hui.
- Espèce de ringard ! Ça fait du bien de te retrouver... On va t'envoyer où, maintenant ? A Beyrouth ?
- Pas question ! Trois ans d'Afrique, ça m'a suffit. Je me pose pour de bon.
- Tu n'as prévenu personne ?
- Juste maman. Elle sait garder sa langue.
Soudain silencieux, j'ai écouté les raclements de sabots sur la dalle des écuries. J'ai regardé autour de moi, tout ce cuir pendu aux palissades, ces seaux de croquettes, ces sacs de pain ou de pommes, ces bottes de paille... Au manège, de gracieuses cavalières enchaînaient les tours. J'ai confié à mon beau-frère :
- Lionel, c'est le paradis, ici...


Assez tardé ! Une pur-sang arabe s'impatientait, attachée à un piquet d'enclos. Robe alezane et crinière nattée, elle avait fière allure. J'ai glissé une botte dans l'étrier, j'avais hâte de galoper dans la fraîcheur automnale. Lionel m'a mis en garde :
- N'éperonne pas Kalifa, elle démarre au quart de tour ! Tu la reconnais ? Elle était invitée à ta noce... Eh, Philippe, tu m'écoutes ?
- Oui, camarade.
- On garde tes bagages. Passe déjeuner demain, j'ai plein de choses à te raconter !
Je m'éloignais déjà au petit trot. Lionel a couru un temps à mes côtés, une longe en main, s'écriant :
-Tu as vu Berlin ? Le mur est tombé ! Le monde marche vers la paix, mon ami !

[A suivre]

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