J’ai longtemps rêvé de guerre. Aujourd’hui encore
me revient en mémoire la photo de Bon Papa : une veste de troupe à
pattes de col rectangulaires, de longues moustaches, le liseré foncé
du pantalon, les jambières en cuir, le calot penchant à droite et
les gants blancs à l'aplomb... 14-18 ; voilà la guerre !
Suis-je né trop tard ? J’ai raté les guerres
mondiales, l’Indochine et l’Algérie. Quand vint mon tour
d'embrasser la carrière,
quelle option me restait-il ? Un conflit post-colonial en Afrique !
De ceux qui ressurgissent tous les dix ans.
Ainsi, j'ai par défaut choisi l'opération
Narval,
mission d'interposition sous mandat de l'ONU... Inutile d'en dire
plus.
Je revenais de guerre, un quelconque soir d'automne.
Rentrer du front est intemporel et cela me convient. J'aime ce qui
n'a pas d'âge, j'ai toujours en tête des chansons d’enfance,
mironton mironton mirontaine.
L'avion, le train, le taxi enfin. J'avais enchaîné les moyens de
transport jusqu'au centre équestre de Vernes, à quinze kilomètres
de mon village d'enfance. Là, mon beau frère m'attendait,
s'appliquant à démêler une crinière.
- Par ici, Philippe !
Ciel limpide, fraîcheur de novembre... Il y avait dans l'air comme
des bulles de champagne. Je me suis avancé tout sourire, dans une
confusion d'odeurs de cuir et de poussière. Lionel a posé son
étrille, pour me donner l'accolade.
- Magnifique ! Tu rentres entier ? Personne ne t'a troué la peau ?
- R. A. S., comme on dit !
- Quel uniforme !... Tu tiens vraiment à débarquer chez toi à
cheval ? C'est pas un peu du cinéma ?
- Non, Lionel. Ça ne l'était pas la nuit de mon mariage, ça ne
l'est pas plus aujourd'hui.
- Espèce
de ringard ! Ça fait du bien de te retrouver... On va t'envoyer où,
maintenant ? A Beyrouth ?
- Pas question ! Trois ans d'Afrique, ça m'a suffit. Je me pose pour
de bon.
- Tu n'as prévenu personne ?
- Juste maman. Elle sait garder sa langue.
Soudain silencieux, j'ai écouté les raclements de
sabots sur la dalle des écuries. J'ai regardé autour de moi, tout
ce cuir pendu aux palissades, ces seaux de croquettes, ces
sacs de pain ou de pommes, ces bottes de paille... Au manège, de
gracieuses cavalières enchaînaient les tours. J'ai confié à mon
beau-frère :
- Lionel, c'est le paradis, ici...
Assez tardé ! Une pur-sang arabe s'impatientait, attachée à un
piquet d'enclos. Robe alezane et crinière nattée, elle avait fière
allure. J'ai glissé une botte dans l'étrier, j'avais hâte de
galoper dans la fraîcheur automnale. Lionel m'a mis en garde :
- N'éperonne pas Kalifa, elle démarre au quart de tour
! Tu la reconnais ? Elle
était invitée à ta noce... Eh, Philippe, tu m'écoutes ?
- Oui, camarade.
- On garde tes bagages. Passe déjeuner demain, j'ai plein de choses
à te raconter !
Je m'éloignais déjà au petit trot. Lionel a couru un temps à mes
côtés, une longe en main, s'écriant :
-Tu as vu Berlin ? Le mur est tombé ! Le monde marche vers la paix,
mon ami !
[A suivre]
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