samedi 11 octobre 2014

Je revenais de guerre - roman - XXXIII

Philippe ! Philippe !... Mon apnée se prolongeait. J'avais une telle envie d'en finir ! Du fond, j'ai entendu la voix de mon ami. Billy m'appelait, Billy me voulait vivant. Billy croyait encore en l'issue heureuse... Et moi ?
Contre toute attente, quelque-chose m'a propulsé. Comme un réflexe d'extension, une détente musculaire... J'ai crevé la surface sans comprendre. Aussitôt, mes mains ont saisi le bras de la centrifugeuse. Ce bras d'acier qui m'entraînait, dans un lent mouvement circulaire...
Je n’avais plus la force de me hisser hors de l'eau. Mais ainsi tournant, j’ai senti le souffle de Billy, penché sur moi. Il criait, juché sur la poutre métallique :
- Philippe, oui !...
Et sa main s'est refermée sur mon poignet.


Ce ne fut pas un évanouissement. Mon corps ne répondait plus, mais j’entendais nettement le moteur du bassin... De mon oeil valide, je regardais Billy.
Billy-la-grenouille ! Je n’oublierai jamais le bleuâtre de ses yeux, derrière leurs verres troubles. Deux culs de bouteille, et ces pupilles dilatées... Il était là, mon demeuré à lunettes ! Mon copain à la mèche filasse, tardivement accroché à l’enfance...
Assis sur le bras de la centrifugeuse, comme sur un lent carrousel, Billy enserrait mon poignet. Je savais qu'il ne lâcherait pas. Pas avant que ses propres forces ne l'abandonnent.
J'ai fermé les yeux.


On venait... Qui ? Gendarmes, pompiers ? Nous avait-on vus depuis la route ?... J’ai cru entendre la voix de Lionel. On me tirait hors de l'eau, on m'étendait sur une civière, on posait sur mon nez un masque respiratoire, on me parlait - et je ne pouvais répondre.
Je percevais la chaleur des phares d'un véhicule. D'autres voix me parvenaient ; quelqu'un interrogeait Billy :
- Vous êtes Guillaume Falcata ?
- Oui, c'est... c'est c'est Billy, moi !
- Et lui, quel est son nom ?


Je ne pouvais plus le voir, mais je l’imagine à présent, Billy... Il relève le front, sans se départir d’une moue boudeuse. Il y a un rien de sombre au fond de ses yeux. Il plante droit son regard dans celui du secouriste :
- Lui, c'est Philippe.
Cette voix, mon Dieu ! Grave, comme celle d’un adulte, pâteuse comme celle d’un enfant… Une voix de l’entre-deux, du temps figé. Billy aura douze ans, jusqu’à sa dernière heure, et toujours les intonations d’avant.
- Philippe Dartois, voilà... C'est mon copain !
“Mon copain” répète Billy – et je tombe dans le grand sommeil.


[A suivre]



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