samedi 30 août 2014

Je revenais de guerre - roman - XXVII

  - Voilà, Billy. On le tient, notre puzzle... Après l'accident, ton papy m'a levé le menton de force. Il m'a obligé à le regarder droit dans les yeux. Rien de plus. Le mal était fait... Puis mon père a dû se montrer généreux. Mon père, c'était Monsieur le maire ! Et Monsieur le maire n'aime pas les vagues... Il a dû verser ce qu'il faut. Assez pour toi, pour Gustave, peut-être... Assez pour que tout le monde la boucle.
- Non...
- C'est tout, Billy. Ton papy a pris sa retraite. Nous nous croisions de loin en loin ; je baissais toujours les yeux...
- ...
- Je t'ai laissé pour mort, Billy ! Je t'ai abandonné, j'en porte le poids et j'ai voulu tout oublier.
- Non ! Non...
- Ce que tu devenais ? Personne ne m'en a rien dit ! Billy, l'encorné du cerveau... Moi, j'ai eu le cœur crevé, tu ne peux pas imaginer... Je ne sais pas comment j'ai pu affronter le monde seul. Mon Dieu, si les adultes se doutaient !...
- ...
- Reprends cette arbalète, Billy. Elle a causé trop de souffrance.


Des à-plats de couleur, à droite, à gauche ; hangars ou Dieu sait quoi. Le parvis de graviers, le cercle noir des bassins de décantation... Et Billy, juché sur son monstre éteint.
Billy avait saisi l'arme par la crosse. Elle était courte, assez pour qu'il puisse la retourner contre lui-même... Ainsi, ai-je vu mon copain d'enfance viser son propre coeur.
Que dire, que faire ?... Je retenais mon souffle, pétrifié. Le temps s'écoulait ; Billy me tenait sous hypnose. Billy, devenu sa propre cible...


Non, je ne pouvais me résigner à un nouveau drame ! Je n'avais pas bravé la mort pour assister à un suicide ! Subitement, des mots me sont venus, portés par une voix claire :
Veux-tu mourir, Billy ? Veux-tu finir comme ton père ? Pourquoi ?...
- Ah mais non ! Mais non ! Sept fois par jour, les prières ! Sept fois par jour, il s'est pendu mon papa... C'est dans le petit cahier de papy !
- Et après ? Ton père c'est ton père, toi c'est toi ! Baisse cette arme !
Billy secouait la tête, obstinément, le carreau toujours pointé vers son coeur. Sa monture ne bougeait pas d'un millimètre.


Soudain, l'ami perdu s'est écrié :
- Mais non ! Mais non ! Pas mort d'une flèche, mon papa ! Il s'est pendu ! Le moine du petit cahier... Gabriel, il s'est pendu au grenier ! Dans dans, dans le grenier. Avec la corde, la corde de de ceinture... Mais un jour, un jour il viendra me chercher ! C'est sûr...
- Il ne reviendra pas, Billy ! Les morts ne reviennent pas...
- Ah oui ! Mais il est pas mort, mon papa !...
- Baisse cette arme, Billy...
- Mais non ! Mais non, il est pas mort !   


[A suivre]

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