samedi 16 août 2014

Je revenais de guerre - roman - XXV

 Ma mère, si fragile ! Elle avait donc pris sur elle de maintenir le lien. Depuis combien d'années visitait-elle ainsi mon copain ? Chaque samedi, en secret, prétextant un cours ici où là... Prenait-elle le train, la voiture ? Avait-elle des complices ? Mon père, peut-être... Moi, je ne m'étais jamais douté de rien.
Qui d'autre rendait visite à Billy ? Probablement personne. Il devait la guetter sur un perron. La voir apparaître, pâle et fluette, arborant sourire fatigué et foulard de soie... Pour lui, elle devait jouer un florilège de ses compositions, empreintes de la même délicatesse.
Maman chantait de sa voix de soprano, les yeux dans le vague... Puis la route du retour en solitaire, le poids du souvenir, le foulard... Le sentiment du devoir accompli. Pauvre Maman ! C'était donc elle...


- Billy, Maman t'a prévenu pour mon mariage, il y a quatre ans ?
- Mmm...
- Samedi dernier, elle t'a parlé de mon retour d'Afrique ?
- Mmm...
Ma tête me brûlait. Je sentais monter en moi les vibrations du sol. Je surveillais la bête, étrangement immobile, comme assoupie sous le poids léger de son cavalier. Billy farfouillait dans une sacoche, sans plus se préoccuper de moi.
- Pauvre Maman... Tu te souviens, Billy ? Je lui piquais des trucs. Je prenais de l'argent dans son sac, elle ne m'a jamais soupçonné. Avec, on achetait des bricoles. Des réglisses, des pétards...
- Des des cigarettes...
- Les clopes, on les fumait en cachette. Les pétards, on les plantait dans des bouses de vache... Il y avait ce champs, à l'entrée du village, là où... là où tu m'attendais, hier...
- ...
- On s'est promenés là, un soir, à douze ans... Notre dernier soir. Tu t'en souviens ?
Billy n'écoutait plus. J'ai haussé le ton :
- L’arbalète du papy ! Je l’avais volée, la veille... Ton accident, c'est à cette arbalète que nous le devons ! T'en souviens-tu ?
En guise de réponse, Billy a tiré l'arme de sa sacoche.


Je retenais mon souffle. D'un geste lent, Billy tournait l'arbalète, me la présentant sous différents angles. Avec la même lenteur, j'ai tendu les doigts... touché l'arc d'acier, l'arbrier aux fines marqueteries.
- Billy... Pourquoi l'as-tu chargée ?...
Doucement, ma main s'est refermée sur l'objet de nos convoitises. Il était lisse et froid, massif, pareil à mon souvenir. Billy ne m'opposait aucune résistance. J'avais l'arme en main et j'en éprouvais une indicible fierté.
J'ai fermé les yeux, tandis que mon copain d'enfance murmurait :
- Pas fait exprès... Je voulais juste... cadeau... Cadeau.


[A suivre]

Aucun commentaire: