Gabriel était sorti désemparé du salon de thé, abandonnant
Blandine à son ombre. Il avait filé sans se retourner, les yeux
baissés. Quelque chose du vœu d'obéissance persistait en lui. Lui
intimait-on l'ordre de s'en aller ? Il s'en allait, gonflé de
chagrin, seul face à tant de questions...
Aurait-il dû la rassurer ? Lui dire « Je t'aime, je veux
t'épouser » ? L'embrasser en public ? La tirer au
dehors, la prendre par la main, par la taille, l'emmener au parc
Montsouris, l'asseoir sur un banc, aux pieds des cerisiers rouge et
or ? Quand la reverrait-il ?...
Il avait
regagné la mansarde mise à sa disposition par le prêtre de
Saint-Joseph. Il s'était étendu le ventre vide, tout habillé.
Aucun frère n'était plus là, pour recueillir ses larmes... Sans
relâche, la pluie crépitait sur le toit de zinc – et les heures
ne passaient pas.
A minuit, son
ardeur l'emportait. Mu par un puissant désir, il se dressa, saisit
un manteau et se rua dans l'escalier.
Gabriel
attendait depuis longtemps, aux pieds d'un immeuble de boulevard, ne
pouvant entrer, n'osant appeler. Son duffle-coat se gorgeait d'eau ;
il sentait le froid l'envahir au plus profond.
Il regardait
une à une les fenêtres. Peut-être Blandine dormait-elle là,
derrière ce balcon ? Ou sous cette corniche, au 4ème ?... Mais sa
chambre pouvait tout aussi bien donner sur une cour intérieure !...
Jusqu'à quel point était-elle surveillée ? Se lèverait-elle
furtivement dans la pénombre, pour écarter un pan de rideau ?...
Gabriel retira
son chapeau, laissant la pluie ruisseler sur son crâne... Le temps
passait, l'espoir s'amenuisait.
Enfin, dans un
soupir, s'ouvrit la porte cochère ; c'était Blandine. Blandine !
Ses pieds nus, son imperméable rouge sang, serré sur une chemise de
nuit... Blandine, si frêle, à la lueur du réverbère...
Il tressaillit
; quelque chose s'engouffrait dans son coeur. Blandine traversait la
rue, sur la pointe des pieds. Elle marchait à sa rencontre, les yeux
grand ouverts, s'écriant :
- Tu
es fou ! Tu es fou !...
Mais déjà,
les bras de Gabriel l'enserraient.
Il se souvenait
d'elle, un jour de pluie... A la Porterie, blottis l'un contre
l'autre, la tendresse se muant en frisson... Il se souvenait d'elle,
ardente, fébrile, sa chair comme une argile ! Et lui l'embrassant
encore, encore... Ah, ses lèvres, son cou ! Le lobe de ses oreilles
!...
Ainsi, se
souvenant de ce plein abandon, il perçut en elle les infimes signaux
de la distance. Dans ses gestes un rien plus raides, dans la texture
même de sa chair... Trois mois plus tard, d'une manière ou d'une
autre, Blandine n'y était plus.
Un temps
encore, il la berça sans rien dire. Que savait-il d'elle, de sa vie
?...
Le
doute s'insinuait ; il le chassa, comme d'un revers de la main.
Maintenant
! Maintenant, les mots d'amour, que je n'ai pas osé prononcer !
- Ma
chérie... Je veux t'épouser !...
- Gabriel
! Tu viens trop tard !... Je suis fiancée à un autre..
[A suivre]
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