samedi 27 septembre 2014

Je revenais de guerre - roman - XXXI

 Gabriel était sorti désemparé du salon de thé, abandonnant Blandine à son ombre. Il avait filé sans se retourner, les yeux baissés. Quelque chose du vœu d'obéissance persistait en lui. Lui intimait-on l'ordre de s'en aller ? Il s'en allait, gonflé de chagrin, seul face à tant de questions...
Aurait-il dû la rassurer ? Lui dire « Je t'aime, je veux t'épouser » ? L'embrasser en public ? La tirer au dehors, la prendre par la main, par la taille, l'emmener au parc Montsouris, l'asseoir sur un banc, aux pieds des cerisiers rouge et or ? Quand la reverrait-il ?...
Il avait regagné la mansarde mise à sa disposition par le prêtre de Saint-Joseph. Il s'était étendu le ventre vide, tout habillé. Aucun frère n'était plus là, pour recueillir ses larmes... Sans relâche, la pluie crépitait sur le toit de zinc – et les heures ne passaient pas.
A minuit, son ardeur l'emportait. Mu par un puissant désir, il se dressa, saisit un manteau et se rua dans l'escalier.


Gabriel attendait depuis longtemps, aux pieds d'un immeuble de boulevard, ne pouvant entrer, n'osant appeler. Son duffle-coat se gorgeait d'eau ; il sentait le froid l'envahir au plus profond.
Il regardait une à une les fenêtres. Peut-être Blandine dormait-elle là, derrière ce balcon ? Ou sous cette corniche, au 4ème ?... Mais sa chambre pouvait tout aussi bien donner sur une cour intérieure !... Jusqu'à quel point était-elle surveillée ? Se lèverait-elle furtivement dans la pénombre, pour écarter un pan de rideau ?...
Gabriel retira son chapeau, laissant la pluie ruisseler sur son crâne... Le temps passait, l'espoir s'amenuisait.


Enfin, dans un soupir, s'ouvrit la porte cochère ; c'était Blandine. Blandine ! Ses pieds nus, son imperméable rouge sang, serré sur une chemise de nuit... Blandine, si frêle, à la lueur du réverbère...
Il tressaillit ; quelque chose s'engouffrait dans son coeur. Blandine traversait la rue, sur la pointe des pieds. Elle marchait à sa rencontre, les yeux grand ouverts, s'écriant :
- Tu es fou ! Tu es fou !...
Mais déjà, les bras de Gabriel l'enserraient.


Il se souvenait d'elle, un jour de pluie... A la Porterie, blottis l'un contre l'autre, la tendresse se muant en frisson... Il se souvenait d'elle, ardente, fébrile, sa chair comme une argile ! Et lui l'embrassant encore, encore... Ah, ses lèvres, son cou ! Le lobe de ses oreilles !...
Ainsi, se souvenant de ce plein abandon, il perçut en elle les infimes signaux de la distance. Dans ses gestes un rien plus raides, dans la texture même de sa chair... Trois mois plus tard, d'une manière ou d'une autre, Blandine n'y était plus.
Un temps encore, il la berça sans rien dire. Que savait-il d'elle, de sa vie ?... Le doute s'insinuait ; il le chassa, comme d'un revers de la main. Maintenant ! Maintenant, les mots d'amour, que je n'ai pas osé prononcer !
Ma chérie... Je veux t'épouser !...
- Gabriel ! Tu viens trop tard !... Je suis fiancée à un autre..


[A suivre]

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