samedi 4 octobre 2014

Je revenais de guerre - roman - XXXII

Gabriel s'écarta, le souffle coupé. Toute sa poitrine battait sourdement. Il ne tenait plus Blandine que d'une main, tandis qu'elle sanglotait, sanglotait... Des larmes à n'en plus finir.
Il regardait ces yeux noyés, ce gracieux minois, tout en courbes juvéniles... Les paroles du frère Damien lui revenaient : Prends garde, Gabriel, le coeur est un escroc !...
Réfléchissant à voix haute, il demanda :
- Blandine, mais qui aimes-tu ?
- Je... je suis mineure, Gabriel !... Ma mère ne veut pas que je t'épouse...
- Qui aimes-tu, Blandine ?
- Ah, tais-toi ! Tais-toi !...
Elle le prit par le cou, sanglotant de plus belle. La serrant à la taille, il la berça à nouveau. Un frisson la parcourait ; n'était-ce que le froid ?... Il lui sembla qu'elle rentrait le ventre, comme pour limiter son contact... Dès lors, Gabriel sut qu'il allait souffrir.


Cette brèche béante... Cette brèche en lui, où s'engouffraient des vents noirs... Vents salés, vents rugissants... Gabriel allait souffrir. Etait-ce toujours la bien aimée, le don du ciel, qu'il berçait dans ses bras ?
Une fois encore, il se surprit à y croire :
- Ne crains rien, Blandine... Demain, je parlerai à ta mère.
- Non ! Elle ne t'écoutera pas !... Elle n'écoute personne...
- Mais il suffit du consentement d'un seul parent ! Ton père a dit oui !
- Elle veut porter plainte !... Je suis mineure, Gabriel. Tu as trente ans, j'en ai dix sept... Hier, elle a déposé une main courante, au commissariat...
- C'est d'amour que je parlerai au juge !... Ou s'il le faut, j’attendrai ta majorité...
- Elle veut qu'on t'interdise de m'approcher !...
- Et toi, Blandine ? Toi, que veux-tu ?...


... Avait-elle réellement un fiancé ? N'était-elle promise qu'à sa propre mère ?... J'ai souffert, Gustave, seul face à mes questions. Je ne pouvais prendre d'assaut le coeur de votre fille. Ni plus m'en retourner à la vie monastique.
J'ai attendu, vainement espéré. Jamais je n'ai cherché à recontacter Blandine ! Je l'attendais, dans la douleur. Parfois, je portais les mains à mon cou, sur ma cicatrice encore fraîche – et c'est la marque même de mon désespoir qui me tenait debout ! J'avais déjà touché le fond, à l'abbaye... Dieu me voulait vivant.
Le prêtre de Saint-Joseph était un ange, penché sur mon épaule... Un jour, il m'a soufflé, de sa voix chantante : “Le voleur a tout pris ! Le voleur a tout pris, sauf la lune à la fenêtre. Ainsi parlait Ryokan, un moine bouddhiste - qui d'ailleurs connut l'amour. Heureux Gabriel ! Il ne reste que la lune, à votre fenêtre.”


Les mois ont passé. Mes cheveux repoussaient, mon travail changeait, au gré des besoins. J'ai remplacé au pied levé plusieurs professeurs absents... Enfin, le directeur m'a parlé de ce projet, au Japon. Une association culturelle...
Que vous dire de plus, cher Gustave ? Je vous écris de l'aéroport d'Orly. Mon Constellation décolle dans une heure trente.


Blandine est jeune, si jeune, si seule ; prenez grand soin d'elle !
Dieu vous garde,
Gabriel


[A suivre]


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