samedi 23 août 2014

Je revenais de guerre - roman - XXVI

L'arbalète pour enfant... Avais-je bien saisi ? Billy parlait-il vraiment de me l'offrir ? Mon copain gardait la tête baissée, tout penaud. Et moi, comme à douze ans, j'éprouvais le poids de l'objet... Mais non ! Cette fois, je ne tomberais pas dans le piège.
- Billy, elle ne nous appartient pas, cette arbalète ! Ni à toi ni à moi.
- ...
- J'aurais dû te là rendre, ce soir là... Je n'ai pas su m'arrêter.
- …
- Je ne pouvais pas te la remettre comme ça, en baissant les yeux ! J'ai fanfaronné. J'ai fais semblant de te menacer et tu m'as pris au sérieux. Tu as empoigné l'arc d'acier. Ta voix tremblait. Tu criais : « J'en étais sûr ! Rends-là moi ! Rends-là moi ! » Et je te répondais : “Arrête ! C'était pour rire !”...
- Pour rire...
- Je voulais que tu me couvres. Qu'on trouve ensemble un bobard, une fable à raconter à ton papy. Mais toi, tu t'agrippais à l'arme ! Un taureau broutait dans le pré. Pas n’importe lequel : l'énorme, le teigneux ! Celui dont les enfants se méfiaient...
Tout en prononçant ces mots, je surveillais la monture assoupie. Une sombre chose. Une chose dont les intentions m'échappaient. Pourquoi l'ami perdu faisait-il alliance avec ce monstre ?... Ca n'a pas de sens, me murmurait une petite voix.
Billy se penchait, cherchant mon regard. J'ai repris :
- Quel drôle de puzzle !... Même à deux, je ne suis pas sûr qu'on en vienne à bout.


- C’était au crépuscule, Billy. Nous étions seuls, toi et moi. Tu m'insultais, tu voulais me reprendre l'objet de force. Je criais : “Attention ! Attention ! Elle est chargée !...”
- Non non non !
- Douze ans, Billy ! Éternellement douze ans ! Tu sais pourquoi ? A cause d'un carreau d'arbalète ! Un carreau, dans la fraîcheur du soir... Voilà, Billy : le coup est parti, en rendant un bruit mat. Aussitôt, le taureau a mugit. D’un même geste, toi et moi, nous avons laissé tomber l’arme.
- Arrête !
- M'arrêter ? Mais je n'ai pas d'autre choix, Billy ! Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après ! Je n'en ai plus aucun souvenir...


Le ciel s'assombrissait. J'ai fixé l'horizon, comme si des tourbes pouvait surgir quelque réponse. Un frisson de fièvre me parcourait. Mes jambes faiblissaient, elles ne me tiendraient pas longtemps debout. Dans une heure au plus, j'aurais rendu les armes. Nous ne pouvions en rester là !...
- Billy ! Que s'est-il passé, après ? T'en souviens-tu ?
- ...
- Si tu ne t'en souviens pas, qui va compléter notre puzzle ?
- ...
- Il n'y a plus qu'une chose à faire : reconstituer les pièces manquantes ! Un : le taureau blessé saute par-dessus son enclos. D'accord ? Deux : nous courons à perdre haleine. Trois : la partie est inégale ; j'ai de longues jambes, du souffle, et pas toi... Quatre : comment sauver ma peau ?
- Ousmane !...
- Quatre : je te sacrifie ! Les cornes sont pour toi, Billy ! Pour tes bouées et tes joues rouges ! Les cornes, les sabots... La bête te massacre ! Tu pourrais finir paralysé, mais c'est pire : tu bloques à douze ans, corps et esprit. Handicapé ! Gogolito ! Et moi ? Jamais personne ne m'en dira rien ! Plus de Billy, rien que du silence ! Moi, je vais poursuivre ma route, seul.


[A suivre]

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