L'arbalète pour enfant...
Avais-je bien saisi ? Billy parlait-il vraiment de me l'offrir ? Mon
copain gardait la tête baissée, tout penaud. Et moi, comme à douze
ans, j'éprouvais le poids de l'objet... Mais non ! Cette fois, je ne
tomberais pas dans le piège.
- Billy, elle ne nous appartient pas, cette arbalète ! Ni à toi ni à
moi.
- ...
- J'aurais dû te là rendre, ce soir là... Je n'ai pas su
m'arrêter.
- …
- Je ne pouvais pas te la remettre comme ça, en baissant les yeux !
J'ai fanfaronné. J'ai fais semblant de te menacer et tu m'as pris
au sérieux. Tu as empoigné l'arc d'acier. Ta voix tremblait. Tu
criais : « J'en étais sûr ! Rends-là moi ! Rends-là moi ! » Et
je te répondais : “Arrête ! C'était pour rire !”...
- Pour rire...
- Je voulais que tu me couvres. Qu'on trouve ensemble un bobard, une
fable à raconter à ton papy. Mais toi, tu t'agrippais à l'arme !
Un taureau broutait dans le pré. Pas n’importe lequel : l'énorme,
le teigneux ! Celui dont les enfants se méfiaient...
Tout en prononçant ces mots, je surveillais la monture
assoupie. Une sombre chose. Une chose dont les intentions
m'échappaient. Pourquoi l'ami perdu faisait-il alliance avec ce
monstre ?... Ca n'a pas de sens, me
murmurait une petite voix.
Billy se penchait, cherchant mon regard. J'ai repris :
- Quel drôle de puzzle !... Même à deux, je ne suis pas sûr qu'on
en vienne à bout.
- C’était au crépuscule, Billy. Nous étions seuls,
toi et moi. Tu m'insultais, tu voulais me reprendre l'objet de force.
Je criais : “Attention ! Attention ! Elle
est chargée !...”
- Non non non !
- Douze ans, Billy ! Éternellement douze ans ! Tu sais pourquoi ? A
cause d'un carreau d'arbalète ! Un carreau, dans la fraîcheur du
soir... Voilà, Billy : le coup est parti, en rendant un bruit mat.
Aussitôt, le taureau a mugit. D’un même geste, toi et moi, nous
avons laissé tomber l’arme.
- Arrête !
- M'arrêter ? Mais je n'ai pas d'autre choix, Billy ! Je ne sais pas
ce qu'il s'est passé après ! Je n'en ai plus aucun souvenir...
Le ciel s'assombrissait. J'ai fixé l'horizon, comme si des tourbes
pouvait surgir quelque réponse. Un frisson de fièvre me parcourait.
Mes jambes faiblissaient, elles ne me tiendraient pas longtemps
debout. Dans une heure au plus, j'aurais rendu les armes. Nous ne
pouvions en rester là !...
- Billy ! Que s'est-il passé, après ? T'en souviens-tu ?
- ...
- Si tu ne t'en souviens pas, qui va compléter notre puzzle ?
- ...
- Il n'y a plus qu'une chose à faire : reconstituer les pièces
manquantes ! Un : le taureau blessé saute par-dessus son enclos.
D'accord ? Deux : nous courons à perdre haleine. Trois : la partie
est inégale ; j'ai de longues jambes, du souffle, et pas toi...
Quatre : comment sauver ma peau ?
- Ousmane !...
- Quatre
: je te sacrifie ! Les cornes sont pour toi, Billy ! Pour tes bouées
et tes joues rouges ! Les cornes, les sabots... La bête te massacre
! Tu pourrais finir paralysé, mais c'est pire : tu bloques à douze
ans, corps et esprit. Handicapé ! Gogolito ! Et moi ? Jamais
personne ne m'en dira rien ! Plus de Billy, rien que du silence !
Moi, je vais poursuivre ma route, seul.
[A suivre]
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