Rendre
l'arme, avant qu'il ne soit trop tard. Restituer l'arbalète,
d'accord, mais comment ? J'avais ma dignité !... Notre voiture
roulait vers Galvier. Mon père chantait la Tactique
du gendarme. Replié
sur moi-même, je feignais de dormir.
Un rapide dîner à la cuisine :
nouilles au jambon, camembert et compote. On sonnait à la porte ;
l'heure était venue. Je suis sorti, ma besace en bandoulière.
Billy m'attendait sur le perron, l'air renfrogné. Il a sitôt
désigné mon sac : “T'as quoi là dedans ?” “Des bricoles”,
ai-je répondu d'un ton détaché. Quelques minutes de gagnées,
avant l'aveu.
Ce
petit tour, aux portes du village... Nous marchions en silence, dans
la tiédeur du soir. Des
martinets dansaient entre ciel et terre ; un chat suivait des yeux
leur manège. Comment rendre l'arbalète ? Je cherchais
en vain une issue honorable. Qui sait si mon ami n'en faisait pas de
même !...
J'avais au moins trois options :
l'humilité, l'esbroufe ou l'attente. Trois options plus mauvaises
les unes que les autres !... Laissant ainsi s'écouler les minutes,
j'optais de fait pour la troisième. Au risque d'une fuite en avant.
C’était
au crépuscule. J'ai soudain tiré le paquet de ma besace,
fanfaronnant : “Prenez place, Mesdames et Messieurs : le spectacle
commence !” Une pièce de toile enveloppait l'objet ; hop
hop ! je l'ai défaite
avec des manières d'illusionniste. Puis, d'un geste vif, j'ai pointé
l'arbalète sur mon ami, m'écriant : “Billy-la-grenouille ! On
fait toujours le fier ? ”
Le
soleil perçait les nuages. Chaque flaque d'eau semblait braquer sur
moi son faisceau d'argent. J'ai fermé les yeux, ébloui. C'est alors
que j'ai perçu la vibration, d'abord légère, puis de plus en plus
forte... Mes doigts se sont crispées sur les planches. Mon coeur
battait sourdement. Non
! Non ! Pitié !...
J'ai lancé un cri de rage et de
désespoir. Un cri qui s'entendrait de loin. La réalité était là,
au contact de mes mains. Evidente, implacable ! Une large passerelle
avait remplacé les traverses d'autrefois ! Solides, moins espacées,
les nouvelles planches supporteraient le poids de mon ennemi.
Plus
vite ! Plus vite !
Je rampais à nouveau, forçant le rythme - et la colère me tirait
des larmes. Plus
vite, Philippe !
Je le savais : d'ici peu, la colère céderait place à une peur
panique. Car tandis
que je m'écorchais ventre et coudes, la bête s'approchait en
silence.
[A suivre]
2 commentaires:
Sauve qui peut ! Quelle imagination réjouissante, Paul ! Tu as trouvé un éditeur ? Bises de Bretagne où le soleil brille.
Oh, je ne sais pas si ça vaut d' être édité !... Bises de Fontenay, où je travaille d'arracher pieds pour rendre mon nouvel appartement présentable... Tu viendras me rendre visite !
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